Je ne sais pas pour vous, mais j’ai toujours aimé fouiller dans les étalages de mon libraire préféré, afin d’y dénicher des livres d’illustrations hors du commun. Cette manie a dû commencer vers l’âge de 17 ans, à une époque où le minitel était plus en vogue qu’internet, et où il était nécessaire de toujours se déplacer pour se tenir au courant du meilleur en la matière.

En ces temps, je savais à peine dessiner un bonhomme en bâtons, mais par contre j’étais vraiment un passionné de belles images. Aucun artbook ne m’était inconnu pour tout dire. Je pouvais passer des heures entières à contempler les illustrations des beaux livres. J’investissais bien souvent la totalité de mon maigre argent de poche dans l’achat d’albums, et les accumulais précieusement dans ma bibliothèque. Je les conservais tel un trésor, et craignais parfois de trop les ouvrir de peur de les abîmer (gros bêta que j’étais :) ). Plus les dessins étaient soignés, et plus j’étais en admiration.

Je me rappelle d’une fois où je traversais brièvement la Fnac, ce devait être en 2002; alors que je passais en revue machinalement les étagères du rayon bandes dessinées (je n’étais pas réellement venu pour ça à l’origine, hum! mais c’était plus fort que moi ^^’), une couverture aimanta instantanément mon regard dans la galerie, au même titre qu’un morceau de gruyère guiderait une souris dans un labyrinthe. L’ouvrage s’intitulait: “à la recherche de Féerie, Tome 1“. Qui-que-quoi-dont-où-à-quelle-heure? la couverture était une tuerie visuelle! c’était trop beau pour être vrai…

Ni une, ni deux, j’empoignais le livre et dans un élan vigoureux, je tournais la page de garde. Humpf! quoi?! COMMENT?! Je n’en croyais pas mes yeux. Les croquis me semblaient irréels. Je n’avais jamais rien vu de pareil auparavant. Je restais bouche bée devant un tel niveau de dessin. Une chose me paraissait évidente: Il me FALLAIT ce livre avant la rupture de stock (car un si beau recueil était destiné à disparaître). Ni une ni deux, je faisais la queue à la caisse, je n’avais qu’une envie: retourner rapidement à la maison et y découvrir tranquillement toutes les illustrations que mon trésor contenait.

À la recherche de Féerie, Tome 1
La fameuse couverture qui a changé ma vie…

Sur le chemin du retour, j’étais excité comme un gosse, et en attendant le bus, j’entrouvrais le sac plastique et admirais discrètement la couverture, de peur que quelqu’un ne me surprenne avec un trésor pareil à la main. Ce jour là, je suis resté enfermé dans ma chambre tout le samedi après-midi à contempler cette merveille. Jamais je n’avais vu de telles illustrations. Intérieurement, je m’efforçais de me convaincre que la personne capable de dessiner à un tel niveau ne devait pas être humaine (on se rassure comme on peut, voyez-vous ^^).

Ce jour-là, quelque chose changea en mon for intérieur: Plus qu’une inspiration, une envie irrépressible de dessiner, bien que j’étais persuadé de ne jamais parvenir à ce niveau. Ce n’est d’ailleurs que trois ans après que j’ai commencé à ouvrir mon premier livre sur le dessin en perspective (après avoir acheté le tome 2, héhé!). Bon, ce que je produisais n’était pas jojo, mais l’envie et l’inspiration y étaient. Et cette envie de toujours mieux dessiner, c’est en partie à Jean-Baptiste Monge que je la dois. Jean-Baptiste est non seulement un grand illustrateur, mais aussi un concept artist talentueux (il a par exemple travaillé sur des projets de jeux vidéos pour le studio Blizzard Entertainement, tel que Diablo 3, et tellement d’autres projets fantastiques que ça en donne le tournis…).

Il y a quelques semaines, il m’a fait l’honneur d’accepter mon interview. J’étais un peu nerveux à l’idée de le contacter, mais à mon grand étonnement, j’ai découvert un homme humble, ouvert et accessible. Quel délice de lire et relire cette interview, et c’est avec grand plaisir que je la partage avec vous!

Pit >>>> content! :)

Portrait de Jean Baptiste Monge illustrateur professionnel
Portrait de Jean Baptiste Monge, lors d’un Atelier organisé à Seattle.

 

  • Je sais que la plupart de mes lecteurs connaissent déjà ton travail sur les mondes féériques, mais peux-tu résumer en quelques lignes ta carrière professionnelle en tant qu’illustrateur et concept artist, du début jusqu’à aujourd’hui ?

Réponse de JB Monge: Bonjour Pit ! Tout d’abord un grand Merci pour ta patience, ton questionnaire est vraiment très intéressant et j’espère que vous aurez du plaisir à suivre cet interview!! Pour répondre à ta première question, eh bien comme dans la plupart des contes, je pourrais dire que c’est par un heureux hasard que tout a commencé il y a 20 ans. J’ai rencontré mon ami Erlé Ferronnière dans le café” le Légende” à Nantes et à partir de là, l’aventure a démarré!

Depuis 1994, je suis illustrateur de livres. J’ai travaillé essentiellement pour la maison d’Édition “Au Bord des Continents”, seul ou en collaboration, travaillant à la fois sur les images, les textes, la maquette des livres que je créais.

Mes lecteurs me connaissent surtout pour mon univers féérique, dans lequel mes petits personnages, créatures, fées et monstres évoluent.

En 2009, Sony Pictures Animation m’a offert mon 1er contrat de concept art pour un CG d’animation qui ne verra hélas jamais le jour. Cette opportunité m’a ouvert une nouvelle porte et de nouvelles perspectives. Après 15 ans d’éditions, cela a été comme une bouffée d’air frais. J’ai déménagé ensuite à Montréal pour me rapprocher des studios et de ce style d’opportunités. J’ai eu ainsi la chance de travailler pour du jeu video (Spiders, Blizzard), d’autres studios animation/film (Zanuck Company, Walt Disney Imagineering, Digital Domain).

Je travaille actuellement pour un studio montréalais Digital District sur un projet franco-canadien intitulé” Ballerina”.

Même si mes pas me dirigent vers le cinéma, je n’ai pas pour autant abandonné le livre ni la peinture. J’ai l’intention de me remettre à la peinture prochainement, car voilà bien longtemps que cela me pique les doigts.

illustration whisky jb monge

  • Comment t’est venue la passion du dessin ?

Réponse de JB Monge: La passion du dessin m’est apparue bien jeune, dans les 4-5 ans. Je me créais mes histoires en feuilletant mes livres et en dessinant. J’ai toujours dessiné, mais comme nous n’avions pas de place pour ça à la maison je barbouillais surtout la marge de mes cahiers à l’école au grand dam de mes professeurs.

digital painting jb monge

  • Penses-tu qu’il existe des prédispositions innées pour le dessin chez certains individus, ou penses-tu plutôt que le talent vient en dessinant ?

Réponse de JB Monge: Il y a peut-être des prédispositions, mais si la personne ne les travaille jamais, cela devient très vite stérile. Finalement, il vaut mieux ne pas être trop bon au départ et travailler dur pour acquérir une bonne technique, son propre univers graphique, et une volonté de fer pour y arriver, que de se reposer sur ses acquis et ne pas savoir quoi en faire.

digital painting jb monge

  • Avais-tu une sensibilité particulière dès ton plus jeune âge? Étais-tu stimulé par ton environnement et tes proches ?

Réponse de JB Monge: Je pense que ce qui a vraiment déclenché ma créativité c’est l’année que j’ai passée chez ma tante à Brest, loin du reste de ma famille. L’éloignement et le sentiment d’abandon ont ouvert une petite porte laissant mon imagination remplir mes manques. Mes parents par la suite ne m’ont jamais empêché de suivre ce chemin, mais ne m’ont pas pour autant tout de suite poussé dans cette voie. Mon père aurait sans doute souhaité que je fasse une jolie carrière dans l’armée, mais ce n’était vraiment pas mon truc. J’avoue que je feuilletais surtout les histoires de Mickey, mais ma mère, qui dessinait un petit peu, avait la belle habitude de nous lire le soir, lorsque nous étions petits, des contes connus ou de son propre cru. C’est sans doute ainsi que la petite graine d’imagination a pris racine et grandi.

illustration dunlee jb monge

  • As-tu suivi un cursus scolaire artistique ou es-tu autodidacte ?

Réponse de JB Monge: Je suis surtout autodidacte. Je n’étais pas un bon élève et jusqu’au lycée, je préférais dessiner dans mes cahiers que de faire les exercices. J’ai quitté l’école assez vite et j’ai réussi à rentrer dans une école de pub dans ma ville natale (Nantes) grâce à mon portfolio. Cependant, il n’y avait pas dans leur programme des cours d’illustration comme ils en ont aujourd’hui et je me suis très vite aperçu que ma voie se trouvait ailleurs. J’ai donc quitté l’école au bout d’un an et demi pour me consacrer entièrement à mon apprentissage, dans les livres, les musées, en rencontrant des artistes. C’est comme cela que j’ai rencontré Erlé Ferronnière. Nous avons passé plus de 8 ans à travailler dur ensemble, partageant un même atelier pour y composer nos livres.

Avec le recul aujourd’hui, j’aurais aimé avoir quelques cours d’illustration et de peinture avec de vrais professeurs, cela aurait rendu plus simple certaines batailles que j’ai pu avoir autant en technique qu’en composition.

croquis voyage jb monge

  • Ton style présente des particularités graphiques et un sens de l’esthétisme hors du commun. Quelles sont tes plus grandes sources d’inspiration ? Je sais que la liste peut être exhaustive… y en a-t-il quatre ou cinq qui se démarquent du lot ?

Réponse de JB Monge: Oh oui, la liste est longue et très éclectique ! Mais pour ne citer que les principaux, il y a en tête de liste Norman Rockwell, Mon Maître de cœur. Sa technique et sa façon de composer ses images sont extraordinaires. Mais ce qui me touche plus encore c’est sa façon de raconter une histoire dans la toile et de nous laisser imaginer ce qu’il s’est passé avant ou après avec tous les détails qu’il y ajoute.

Arthur Rackham : Un grand illustrateur du 19ème siècle qui est sûrement l’illustrateur référence de tous les auteurs de féérie.

Rien Poortvliet, l’illustrateur des Gnomes. Son gnome est d’ailleurs très connu, même dans nos jardins, habillé de bleu et au chapeau pointu et rouge. Ses peintures furent une belle révélation et j’ai réalisé que je pouvais vivre de mes images et de mon univers peuplé d’animaux et de créatures oniriques comme lui.

Legend (1985) de Ridley Scott et Willow (1988) de Ron Howard sont 2 films qui m’ont beaucoup marqué. Pour la première fois, je voyais de la féerie et de la fantasy comme je me l’imaginais.

Jules Verne, RR Tolkien, Edgar Rice Burrough et bien sûr Charles Dickens qui, lorsque j’ai commencé à apprécier la lecture ont si bien nourri mon imagination.

illustration voyage jb monge

  • Peux-tu parler de tes techniques traditionnelles de prédilection (outils, médias, support) ?

Réponse de JB Monge: Au tout début de ma carrière, je n’utilisais que l’aquarelle et la gouache, mais par la suite, en voyant que mon ami et artiste Pascal Moguérou peignait souvent à l’huile, je me suis mis à utiliser un peu plus ce médium, y trouvant un plaisir différent et une possibilité de pousser un peu plus loin mes images. Aujourd’hui, j’utilise l’un comme l’autre, suivant mon état d’esprit, mon désir d’aller vite ou non. J’avoue cependant avoir une tendance à utiliser plus souvent l’huile.

Pour le papier aquarelle, j’utilise du papier pressé à chaud le plus souvent, mon souci du détail dans l’image fait que j’aime davantage travailler sur des surfaces très lisses.

Lorsque j’utilise de l’huile, j’aime travailler sur du papier canevas (vendu en bloc) et si je dois utiliser un support plus noble, je préfère les surfaces dures pour peindre, alors une bonne planche de bois sera mon choix à la place d’une toile sur châssis.

Pour toute la partie sketch(note de Pit: sketch est un terme anglais qui signifie “croquis” ), je n’ai pas de prédilection question papier. J’adore faire des croquis et j’ai tendance à beaucoup appuyer. Alors, je travaille surtout avec des crayons un peu gras (2B, 3B) pour ne pas endommager le papier.

J’utilise pas mal de références, sinon, lorsque je peins. Il y a quelques années, je commençais par travailler sur une table propre et bien rangée et au bout d’une petite semaine je terminais en équilibre sur une tonne de livres  ou même sur mes genoux, car ma table ressemblait à une grosse montagne d’un joyeux foutoir. Mais maintenant, avec le net, la pile de livres a bien réduit. Je vais surtout chercher de l’inspiration et des références de couleurs. Recopier une photo pour ce qu’elle est n’a rien d’intéressant, mais certains angles de vue peuvent être une bonne aide lorsqu’on n’a jamais vu un endroit ou que l’on cherche un arbre ou un animal dans une pose précise. En général, je ne me contente pas de la pose, j’essaye de trouver d’autres photos pour bien comprendre comment s’articule tel ou tel animal. Pour les couleurs, j’aime être assez précis et je vais avoir de nombreuses références photo pour la chair, les lumières. Pour un visage, je m’aide de multiples portraits, par exemple, je peux prendre la lumière du nez sur celui d’un vieux monsieur, la couleur des joues sur celui d’une femme, les rides sur un autre portrait. Je vais chercher vraiment ma teinte et ma couleur et, comme ça ne s’invente pas, le mieux est d’étudier les lumières sur les visages ou directement sur ma face avec un petit miroir.

illustration dragon jb monge

  • As-tu un rituel créatif particulier avant de réaliser une illustration?

Réponse de JB Monge: Je n’en ai pas vraiment! Si un sketch me plait, je vais le transférer tout d’abord sur mon papier, j’utilise pour cela du papier calque que je beurre de graphite au dos. Ça me permet de reprendre juste les traits que je souhaite sur mon papier (enduction de gesso si c’est pour l’huile).

Pour l’aquarelle comme pour l’huile, j’effectue un premier jet de couleur en jus brun léger pour “bloquer”* l’image (note de Pit: cela signifie mettre en place le jeu de contrastes global d’une image. Cela revient à déterminer une hiérarchie de valeur. En résumé, “bloquer” peut être synonyme de “dégrossir”).

Pour la suite, il n’y a pas d’ordre. Je me laisse guider par mes sensations, cela évolue beaucoup tout au long de la réalisation de l’image, j’ai rarement une idée nette à 100% de ce que je vais faire au final.

studio jb monge

  • J’ai pu remarquer que tu recourais de plus en plus au digital painting. Es-tu passé sur tablette par choix ? Pour toi, quels sont les principaux avantages et inconvénients du digital painting par rapport aux techniques traditionnelles ?

Réponse de JB Monge: Jusqu’en 2009, j’utilisais le digital juste pour mes maquettes de livres, pour positionner mes textes, mes images dans la page. Il m’est arrivé de recevoir des scans de mes images dont les teintes étaient très différentes de l’original et j’ai dû m’aider de l’ordinateur pour rééquilibrer les couleurs. Sinon je n’ai jamais fait de retouche à l’ordinateur pour un détail et je ne le fais toujours pas.

En 2009, j’ai eu mon premier contrat de Concept Art (Sony Pictures Animation) et je me suis vite rendu à l’évidence qu’il fallait aller vite et je crois que je serais devenu fou s’il m’avait fallu recommencer une image pour la grosseur d’un œil, la forme d’un nez, une teinte… J’ai donc investi dans une tablette Wacom Cintiq pour me faciliter la vie. C’est un outil très instinctif.

Pour ce genre de travail, le digital est extra. En général, mon sketch est toujours sur papier. Je le scanne puis retravaille sur ordinateur. Copier/coller pour avoir un même personnage où il suffit de changer un élément (cheveux, visage, vêtements…). Les clients peuvent ainsi choisir leur personnage, c’est vraiment du sur mesure. La couleur est également beaucoup plus facile à aborder, car en une seconde on peut complètement changer sa palette et passer d’une dominante rouge à une bleue par exemple et puis, on n’a pas la peur de gâcher une image, un simple Control+z permet de rectifier les faux pas, on est donc plus libre et plus à même de lancer sur la “toile” toute son énergie et tout son enthousiasme, c’est un bon outil pour débrider sa créativité .

Cela dit je garde toujours le plaisir de travailler une illustration sur papier ou sur toile, avec tous les désagréments que cela comporte comparé au digital, mon premier choix restera toujours le traditionnel. Pouvoir toucher, sentir, vivre son image au fur et à mesure, ça n’a pas de prix. C’est une vraie bataille qui impose des choix difficiles, voire même douloureux et qui parfois se termine dans un cul-de-sac. Cela dit, on apprend toujours beaucoup de ses échecs si l’on reste ouvert et que l’on ne se bloque pas dessus. Je suis aussi très attaché à l’image finie en tant “qu’objet”, son support, la richesse de ses couleurs, les différents médiums employés, ses éventuels repentirs et même si, de nos jours, avec une belle imprimante on peut sortir de très beaux tirages, l’image imprimée n’est pas un original.

Les avantages du Digital :

J’avais dans mes cartons de vieilles images couleur que j’avais abandonnées, faute de temps ou qui ne me plaisaient plus. J’ai pu les retravailler en Digital et en faire de belles illustrations. Lorsque je peins en digital, j’essaye d’utiliser les mêmes manières que celles que j’utilise en traditionnel et de garder ma touche personnelle, j’utilise peu d’effets et seulement lorsqu’ils semblent nécessaires, comme les filtres qui peuvent s’avérer très intéressants pour simplifier certains effets de lumière. J’aime conserver la même signature graphique que ce soit en digital ou en traditionnel !

Le second avantage c’est pour la composition. Avant l’ordinateur, on utilisait la photocopieuse, de la colle, des ciseaux, maintenant c’est bien plus simple et plus rapide pour mettre en place nos éléments.

Les inconvénients du Digital :

Malheureusement il est souvent impossible de déterminer l’auteur d’une œuvre digitale sur le net car nombreuses sont les images qui portent une signature trop similaire. Cela dit, avec le digital et la visibilité sur le web, le nombre d’illustrateurs a carrément explosé, il est donc sans doute normal d’avoir souvent cette impression de “déjà vu” .

Comme je disais plus haut, il ne faut pas se perdre dans la facilité

Ensuite, il est aussi très facile de détruire une bonne image. Il est tellement simple de corriger une erreur et de rajouter des effets, des détails, que cela devient très difficile de dire quand l’image est terminée ou non et l’on peut en quelques minutes passer d’une image puissante à une image lourde et surchargée. Et puis si l’on ne fait pas souvent de backup* (=sauvegarde) , attention à la perte complète et définitive de nombreuses heures de travail…

dessin personnage

  • Penses-tu que l’outil numérique peut aider à devenir un meilleur dessinateur?

Réponse de JB Monge: Ma foi non, si on ne sait pas dessiner à la base au crayon (personnages, proportions, perspectives, couleurs…), le numérique ne fera pas des miracles. Le numérique apporte un lot d’outils qui aidera dans certains cas à cacher les carences, mais ne vous aidera pas à mieux dessiner, c’est la pratique régulière du dessin qui vous y aidera, qu’elle soit faite sur digital ou en traditionnel, cela ne changera rien du tout. En revanche le digital est un outil vraiment puissant et au final, un dessinateur médiocre, mais qui sait parfaitement se servir des bons softs et bien sûr qui ne manque pas d’idées ou mieux de créativité peut faire de très belles images numériques.

Le numérique ne m’a pas rendu meilleur dessinateur, mais il m’aide à aller plus vite et débride aussi souvent ma créativité.

  • J’ai pu remarquer aussi que tu utilisais un logiciel de modélisation 3D (Zbrush), pour effectuer certaines maquettes de tes créatures. Penses-tu que la sculpture représente un bon exercice complémentaire pour inventer et dessiner ses propres créatures fantastiques?

Réponse de JB Monge: Je le recommande à tous. J’ai toujours voulu sculpter, mais ayant une pratique très “vivante de mon art”, une plus jolie façon pour dire que je fiche très facilement le bazar dans mon atelier, je me retrouvais avec de l’argile partout, du sol au plafond. J’ai donc été l’homme le plus heureux du monde lorsque j’ai découvert ce software. Ça paraît très geek sur le coup, mais c’est vrai que j’adore l’utiliser merci à Paul Gaboury et à sa merveilleuse équipe pour avoir développé cet incroyable soft qui compte aujourd’hui parmi mes indispensables.

Avoir une bonne vision 2D est déjà très bien, mais  pouvoir l’envisager en 3D n’est pas toujours aussi simple. L’inverse est également vrai. J’ai souvent vu d’excellents sculpteurs faire de bien piètres dessinateurs. Après avoir sculpté mon petit personnage, celui avec le tricorne rouge portant une bouteille de whisky en 3D, j’ai réalisé que j’avais fait de nombreuses erreurs en 2D (des raccourcis mal dégrossis, des formes un peu lourdes) qui, si je les avais laissées telles quelles en 3D auraient été tout simplement disgracieuses, mais qui étrangement, en 2D participent au charme de l’image. L’on pourrait donc en conclure que ce qui fonctionne en 2D ne marche pas toujours tel quel en 3D et qu’il faut bien souvent adapter son sujet. C’est d’ailleurs là que l’on voit si un sculpteur est talentueux ou non, car il donne une version de l’image qui doit être, si c’est le but recherché, le reflet de celle en papier.

C’est vraiment très intéressant d’évoluer dans le monde du volume, de créer les petits détails, les textures… On peut choisir ensuite son angle, sa lumière, composer vraiment son image avant de se lancer dans la peinture. Personnellement je m’amuse comme un gamin, la prochaine étape, si je trouve le temps, sera d’aborder sérieusement un soft comme maya ou Mudbox pour avoir accès a Mental Ray ou Vray* (note de Pit: Vray est un moteur de rendu qui se veut simplifier le moteur de rendu Mental Ray: ce dernier permet de projeter des photons virtuels sur des surfaces afin d’obtenir des rendus d’objets 3D réalistes.) , mais pour l’instant je bloque un peu sur les importations de map…

Pour ZBrush j’ai commencé à l’utiliser en 2010. Bien que très instinctif dans son utilisation, j’ai dû lire et écouter un bon nombre de tutoriels avant de comprendre son interface parfois un peu trop chargée et un peu hermétique au premier abord, mais en fait très simple lorsque l’on a compris les grandes lignes.

Dans le concept art, CG animation,film ou jeu vidéo, la 3D est aujourd’hui utilisée partout , il était donc primordial pour moi de parler le même langage que les modeleurs professionnels avec qui je travaille. S’ils rencontrent un problème pour passer de mon dessin 2D à la 3D, il m’est plus facile à présent de les guider et de les conseiller, c’est en règle générale un échange très constructif.

modèle 3D jb monge zbrush
maquette 3D d’un personnage réalisé dans le logiciel ZBrush.
  • Lorsque tu dessines d’imagination, parviens-tu à projeter mentalement ce que tu désires voir sur le papier, ou n’as-tu qu’une vague idée que tu ajustes au fil de la progression du dessin? En moyenne, combien de vignettes réalises-tu pour chaque illustration?

Réponse de JB Monge: Mes projections sont hélas très floues, comme toujours en mouvement. Il est malheureusement rare pour moi d’avoir une image nette de ce qui me trotte dans la tête. Aussi, lorsque je peins, je ne fais qu’évoluer en même temps que l’image, ajustant, effaçant, réajustant celle-ci constamment, jusqu’à ce qu’elle semble trouver d’elle-même son équilibre et son chemin. Parfois, il semble même que le final d’une image m’échappe, sans doute les rares moments où mon inconscient prend le dessus et brise enfin ses chaînes, à moins que ce ne soient les muses qui viennent à ce moment fatidique me murmurer à l’oreille. N’en ayant jamais pris l’habitude, et étant parfois trop impatient, je ne travaille pas en vignettes pour des études de couleurs, je ne le fais que pour le sketch pour trouver la meilleure combinaison pour la composition. Je pars en général directement du sketch que je transfère, en noircissant au crayon le dos d’une copie pour éviter d’avoir à re-décalquer. Bien entendu, il y a une bonne dose de repentir dans cette façon de fonctionner, je recommanderais donc vivement de prendre l’habitude de faire de petites études en couleur d’autant qu’avec le numérique cela devient très simple.

illustration cochon jb monge

  • Si tu devais choisir parmi une de tes illustrations préférées, laquelle serait-ce? Peux-tu décrire brièvement ce qui te plaît en elle et les difficultés éventuelles que tu as rencontrées ?

Réponse de JB Monge: C’est assez difficile, car mon image favorite est sans aucun doute encore à venir, mais j’aime tout particulièrement les images avec les animaux. Je dirais que l’image du raton laveur et celle du cochon tirant l’alambic sont sans doute ce qui se rapproche le plus pour moi d’une forme de satisfaction. L’image du raton laveur s’est faite sans problème, elle est sortie toute seule en quelques jours à peine, du croquis au final sans fausses notes.

Pour le cochon il m’a fallu trois essais successifs: la première version mettait en scène un hérisson à la place du cochon, et cela m’a pris pas loin de trois semaines pour me dire que je n’avais sans doute pas choisi la bonne voie. La deuxième version était trop sombre, mais elle avait des éléments vraiment intéressants, malheureusement j’ai trop traîné et j’ai fini par me lasser de l’image, il me fallait encore laisser mûrir l’idée. Après presque 1 an j’ai repris l’image de A à Z et cette fois elle est sortie sans trop de douleur. Presque facilement en quelques jours, l’image que j’avais en tête était enfin sur cette maudite toile. Je regrette juste de ne pas avoir assez bien préparé mon support qui a un peu trop de grain à mon goût, tant l’impatience de m’y attaquer était présente. Je me rappelle aussi très clairement cette étrange sensation à la fin dans les derniers coups de pinceau, alors que j’étais sans doute dans un état second, un état de conscience modifié, avoir entendu le grincement des roues de la charrette, un bruit de grelot et le chant de la pluie battante, dont les gouttes éclataient joyeusement dans la boue.

Je n’ai pas souvent connu cela, mais pour mes images les plus marquantes, j’ai toujours ressenti très vivement l’ambiance de mon image comme une musique personnelle qui me lie à ce que je viens de raconter dans ma toile. Le grand dragon de Ragnarok en est un autre exemple: il a été fini en une seule nuit après que j’aie erré à sa recherche pendant de longs mois, défaisant le jour ce que j’avais fait la nuit. J’avais invité ce jour-là mon ami Pascal Moguérou pour m’aider à donner corps à l’idée et comprendre ce qui me posait vraiment problème, mais que je n’arrivais plus à voir. À la fin de cette journée, au grand dam de Pascal j’avais tout effacé sur la toile sauf une partie de la tête et son œil. Pascal m’invita donc à finir cette épuisante journée chez lui, j’y étais toujours reçu merveilleusement. Je ressortis de là un peu guilleret et en tous cas très combatif, car une bonne soirée chez les Moguérou vous remontait toujours le moral. J’attaquais alors mon dragon de front, la musique déchirait l’air de mon salon, mais au bout d’une heure je n’entendais plus que le chant des brosses sur la toile. J’ai travaillé dans cet état second jusqu’au petit matin et j’ai enfin entendu la lourde respiration de mon dragon. Lorsque Pascal vint boire son café le lendemain, la peinture trônait, enfin finie, sur le chevalet au milieu du salon. Il n’y a vraiment qu’avec Erlé Férronnière et Pascal Moguérou que j’ai partagé ces moments-là, une réelle fraternité qui a toujours eu une grande influence sur mon travail.

illustration racoon jb monge

  • Si tu avais un conseil particulier à donner aux apprentis dessinateurs qui nous lisent, quel serait-il ?

Réponse de JB Monge: Quel que soit le médium que l’on choisit, il faut travailler fort, être curieux de tout, ne pas tomber dans la facilité et ne pas se décourager, garder ses rêves aussi vivants que lorsque l’on était enfant et ne pas avoir peur de suivre son instinct.

Partager avec les autres ce que l’on a appris et être suffisamment ouvert pour apprendre en retour. Cultiver sa personnalité et bien entretenir son jardin secret, même si celui-ci, à force, n’a plus grand-chose de secret héhé !

Merci Pit !

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J’espère que l’interview vous a plu. :)

Si vous souhaitez en savoir plus sur le talentueux Jean-Baptiste Monge, n’hésitez pas à visiter son sitesa Boutique en ligne, ainsi que sa page Facebook, afin de découvrir son travail et son univers.

Si vous souhaitez aller plus loin, j’ai le plaisir de vous annoncer que la toute première formation de Jean Baptiste Monge est disponible en partenariat avec le blog apprendre-a-dessiner.org! Dans ce tutoriel, Jean Baptiste Monge dévoile ses secrets d’illustrateur.

>>C’est par ici<<

Un dernier point: n’hésitez pas à soutenir JB Monge via son patreon. Vous y trouverez des contenus exceptionnels (étapes par étapes, tutos exclusifs…).

Encore mille mercis à lui, non seulement pour avoir éclairé ma journée, mais aussi pour avoir pris le temps, car il a un emploi du temps de ministre. :)

N’hésitez pas à le remercier en commentaire, il le mérite!

-Pit

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