En tant que dessinateur débutant ou amateur, il est très difficile de rester objectif dans l’analyse de ses dessins ou de ses créations. Pour ma part, même en tant que dessinateur confirmé, il m’est toujours difficile de garder un œil frais sur mes croquis ou mes illustrations, alors je peux aisément me mettre à la place du dessinateur novice qui ne sait absolument pas quel chemin emprunter pour parvenir à un dessin présentable.

C’est à force de conseiller les nouveaux dessinateurs qui se tournent vers moi quotidiennement que m’est venue une idée : quoi de mieux que de vous montrer la méthode que j’utilise pour analyser une image, que ce soit un dessin au crayon ou une illustration couleur ? Cet article vise particulièrement les dessinateurs en quête de critique constructive. Je sais qu’en tant que dessinateur/artiste, on se sent souvent très seul. Je compatis tout à fait à cette souffrance, car bien souvent notre entourage ne comprend pas pourquoi on gribouille constamment sur des feuilles de papier, et il est difficile de se décider à s’adresser à l’un d’entre eux, « qui n’y connait rien », de peur de l’ennuyer, ou de peur qu’il ne soit pas assez objectif. Pourtant, c’est la meilleure chose que vous puissiez faire. Demander à vos amis ou à votre famille, c’est un peu comme demander un avis au grand public : c’est un premier pas vers le succès, même si la critique fait mal les premières fois, ça ne peut s’avérer que bénéfique pour votre progression à long terme. Je n’ai pas dit que c’était facile d’exposer son travail, au contraire, c’est une preuve de courage.

Une fois le cap passé, on devient plus serein, plus réceptif, et on canalise alors mieux sa fierté (qui est assez mal placée au début il faut l’admettre, surtout quand on est en phase de forte progression). Quel jeune dessinateur ne s’est jamais dit intérieurement : «m’en fiche ! Je le trouve bien mon dessin ! » ou «  ils n’y connaissent rien de toute façon ! » et n’en a pas fait au final qu’à sa tête ? Certes il faut être un peu têtu pour être dessinateur, car on est souvent conditionné seul contre tous (vive le partage sur internet!). Mais il est nécessaire pour nous de canaliser nos comportements négatifs et de rester constructifs en toutes circonstances. Bon, je généralise bien sûr, j’imagine qu’il doit bien y avoir des exceptions, mais en côtoyant de plus en plus de néophytes, je me rends mieux compte des  réalités. Bref, revenons à nos moutons…dessin mouton Je suis bien conscient que certains d’entre vous pensent qu’il est impossible de se montrer objectif face à son propre travail, et qu’il est toujours plus facile de critiquer le dessin du voisin : je dois dire que ce n’est pas tout à fait faux. Cela dit, je me dois de vous faire part de techniques pour pallier partiellement au problème de manque de recul.

 

  dessin personnage créatif

 

L’objectivité artistique

Qu’est-ce que l’objectivité artistique? Si vous cherchez la définition du terme “objectivité” dans Wikipédia vous pourrez vous rendre compte que l’objectivité est déjà un concept assez complexe… alors l’objectivité attribuée à l’Art, qui est un domaine déjà très flou en soi, je ne vous en parle même pas! :D Pour nous mettre d’accord sur les termes, et pour ne pas me prendre de plein fouet les élans philosophiques de certains de mes lecteurs, j’aimerais vous présenter mon humble définition de l’objectivité artistique.

Pour faire simple, je dirais qu’être objectif c’est se forcer à penser comme un individu moyen qui a une culture minimale sur le sujet. Mettez-vous à la place de celui qui ignore le contexte, la technique et la symbolique. Dites-vous qu’à partir du moment où vous vous intéressez à la technique ou à l’ergonomie, vous risquez de ne plus être objectif sur l’image en elle-même. Objectivement, un dessin est ce qu’il est… c’est-à-dire un dessin ! quelques traits qui  veulent représenter quelque chose de réel (ou au moins en partie). Mettez-vous à votre place à l’époque où vous n’y connaissiez rien en dessin ou en histoire de l’art. Essayez alors de vous souvenir des images que vous appréciez à l’époque et questionnez-vous sur le pourquoi : Pourquoi aimiez-vous ces dessins, ou ces peintures à cette époque? On pourrait aussi se poser la question de cette manière : Quels sont les éléments qui provoquent le succès d’une image auprès du grand public, c’est-à-dire des personnes « qui n’y connaissent rien » ? (attention je ne parle pas de l’effet mouton que peut provoquer un buzz autour d’une illustration, je parle du succès d’une image à l’échelle individuelle).

Lorsqu’on est jeune, c’est souvent le côté esthétique qui prime, le côté conforme, le côté « bien fait », les beaux personnages, la puissance animale, les choses précieuses, les histoires simples qui finissent bien, les pouvoirs surnaturels… À ce stade on préfère généralement les images qui en envoient des tonnes visuellement, on apprécie le côté symétrique des illustrations, car cela nous ramène au concept de perfection et de conformité qui font partie de nos modes de défenses primitifs.

Bien souvent, avec la maturité, notre attention se focalise plus sur les émotions, sur la suggestion, sur l’histoire que raconte l’image, sur le mystère qu’une création dégage, et paradoxalement (et bien souvent inconsciemment) cela nous ramène aux souvenirs de notre vie passée, notre enfance, nos amitiés, nos amours et certains évènements particuliers que l’on a vécus. Avec l’âge, on accepte généralement plus que les choses soient moins parfaites, moins esthétiques, moins précises. Notre concept de beauté se voit transformé, et notre vision globale se métamorphose progressivement. C’est en grandissant qu’on en vient à certaines conclusions comme par exemple : « qu’est-ce que j’étais c** quand j’étais plus jeune ! » :D . Je pense sincèrement que ce n’est pas de la bêtise, c’est simplement notre épanouissement en tant qu’humain qui veut ça. Au fur et à mesure que nous comprenons le monde qui nous entoure, notre sensibilité picturale s’en voit aussi transformée.

Heureusement, il existe des réactions invariables que l’on retrouve chez le grand public, et je tiens à vous en dire plus à ce sujet afin d’en faciliter la prise de conscience et d’améliorer vos chances d’être plébiscités par le plus grand nombre (si c’est ce que vous cherchez bien évidemment).

 

grand public

 

L’analyse du public « qui n’y connait rien »

Tout d’abord, ne voyez pas le grand public comme des ignorants complets, voyez-les comme des personnes qui ne sont pas intéressées par le processus, mais par le résultat. J’insiste sur ce point. Un individu moyen ne s’intéressera pas à la manière dont vous vous y êtes pris pour tenir votre crayon ou bien au médium que vous avez utilisé, ou encore au temps que cela vous a pris : pour dire vrai, c’est le cadet de ses soucis. Il va juger votre création avec les moyens humains qu’il a en sa possession, aussi bien conscients qu’inconscients. Voici donc ce que vous devez savoir sur l’individu moyen« qui n’y connait rien »:

  • il comparera votre travail à des références déjà existantes, que ce soit la réalité ou les travaux d’autres artistes qu’il connait: « ah oui ça me fait penser au travail de bidule !». Il est donc toujours à la recherche de quelque chose de réel, de figuratif, de concret. L’individu moyen essaiera de comprendre votre dessin comme il peut en se rattachant à ce qui lui parle le plus. S’il ne reconnaît rien de familier dans votre image, il y a de grandes chances qu’il n’apprécie guère votre travail. Pourquoi croyez-vous que l’art abstrait n’est pas réservé au premier venu et est considéré comme marginal ? Je viens de vous souffler la réponse. ^^
  • il préfèrera les créations positives, enthousiastes et éclatantes, contrairement aux créations négatives ou morbides, qui le renverront vers sa propre mort et qui le déprimeront. Cela peut se comprendre. C’est d’ailleurs pour cette raison que les artistes dépressifs sont si mal compris par la majorité.
  • Il repèrera inconsciemment les problèmes de lumière sans savoir précisément ce qui fait défaut au dessin (et c’est très frustrant d’entendre : « il y a quelque chose qui cloche, mais je ne saurais pas dire quoi » alors que vous vous efforcez d’obtenir un avis constructif et précis).
  • Il repèrera inconsciemment les erreurs de perspective sans savoir précisément ce qui fait défaut au dessin (et c’est doublement frustrant).
  • Il repèrera inconsciemment les problèmes danatomie sans savoir précisément ce qui fait défaut au dessin (et c’est triplement frustrant).
  • Il repèrera inconsciemment les erreurs de lecture et de composition sans savoir précisément ce qui fait défaut au dessin (et c’est quadruplement frustrant).
  • Il ne reviendra pas sur sa première impression, qu’elle soit positive ou négative. Votre image sera cataloguée au premier regard : autant s’y faire et l’accepter. Le grand public n’est pas empathique, il consomme sans se retourner, et si vous ne suscitez pas chez lui une réaction émotionnelle au cours des premières secondes de visionnage, il oubliera votre création dans les dix minutes qui suivent. C’est triste, mais c’est comme ça.

 

verdict dessin

 

Faire aimer son travail au grand public

Voici mes conseils généraux pour que la majorité du public apprécie ce que vous faites (si, encore une fois, tel est votre objectif ^^):

  • Laissez une grosse place à la représentation figurative (tout ce qui se rapporte à la représentation du réel) et laissez une petite place à l’abstrait et/ou à la suggestion pour donner à votre public envie d’en avoir/savoir plus. Un soupçon de mystère ou de hors champ ne fait jamais de mal.
  • Soignez vos dessins de personnages, spécialement les parties qui ramènent aux émotions comme le visage (spécialement le regard), les mains (dessinez-les souples sans pour autant déformer les articulations), et le langage corporel.
  • Quand vous dessinez quelque chose, soyez capable de mettre des mots sur ce que vous dessinez. Si vous pouvez mettre des mots sur votre création, c’est que vous avez une stratégie artistique et donc une méthode de travail pour parvenir à vos fins. De cette façon vous saurez ce que vous faites et vous n’oublierez pas où vous allez. Si vous ne pouvez pas mettre de mots sur vos propres créations, comment les autres le pourraient-ils ?
  • Pensez à votre palette de couleurs à l’avance. Vos teintes doivent être harmonieuses les unes par rapport aux autres et doivent servir à l’histoire, à l’émotion et à l’ambiance. Des couleurs surnaturelles ou mal pensées nuiront à la cohérence de l’image et refouleront le public à coup sûr.
  • S’il s’agit d’un croquis, soignez vos formes et la qualité de votre trait. Pour cela, apprenez à prendre votre temps et à réfléchir tranquillement. Souvenez-vous : mieux vaut un dessin réfléchi et bien fait dont vous pouvez être fier, que 10 dessins faits à la va-vite et que même vous, vous n’aimez pas totalement.
  • Donnez-vous à 100%. Ne soyez pas pudiques, montrez au maximum vos capacités et soignez vos créations du mieux possible à l’instant présent, pour ne jamais avoir à vous dire que vous auriez pu faire mieux avant même d’exposer votre travail.
  • Facilitez-lui la tâche d’une manière ou d’une autre : le grand public est partisan du moindre effort. Rappelez-vous toujours que c’est un consommateur. S’il a aimé la première fois, il en redemandera, soyez-en sûr.

 

analyse picturale

 

Les étapes de l’analyse picturale

Voici les questions générales que je me pose dans le but d’analyser une illustration :

  • Comprend-on du premier coup d’œil ce qui est représenté sur l’image?
  • Le sujet principal est -il bien mis en valeur?
  • La composition encourage-t-elle un cycle de lecture et permet-elle à l’œil de circuler naturellement à l’intérieur de l’image?
  • L’image raconte-t-elle une histoire ?
  • La composition est-elle en harmonie avec l’histoire ?
  • L’image contient-elle une dose de suggestion ou d’abstrait, ou en dit-elle trop de manière forcée?
  • La perspective des éléments est-elle correcte ?
  • La crédibilité de l’éclairage est-elle suffisante pour ne pas interpeller le grand public et attirer trop son attention?
  • L’anatomie des personnages ou des créatures est-elle suffisamment bien réalisée pour ne pas interpeller le grand public et attirer trop son attention?
  • La palette de couleur renforce-t-elle l’impression qui s’en dégage déjà à la première lecture ?
  • Les points qui attirent l’attention sont-ils suffisamment soignés pour ne pas paraître bâclés?

 

oeil objectif

 

Rester objectif sur son propre travail

Voici quelques-uns de mes conseils pour vous faciliter la tâche dans votre autocritique :

  • Mettez-vous à la place du grand public (comme je viens de vous expliquer plus haut).
  • Laissez votre création en cours et passez à autre chose. Revenez dessus plus tard et comme par magie, votre « œil » sera tout frais et les défauts vous sauteront aux yeux. Notre cerveau s’adapte très vite à ce que l’on a sous les yeux, autant en avoir conscience et s’imposer un temps de repos (c’est un peu comme les crêpes, laissez reposer la pâte quelques heures au frigidaire, et dégustez plus tard).
  • Une technique efficace pour annuler en partie l’effet adaptatif du cerveau est d’observer votre création dans le miroir : cela fonctionne de la même façon que pour révéler les asymétries d’un portrait.
  • Prenez du recul dans le sens littéral : reculez-vous de quelques centimètres ou de quelques pas selon le format de votre création. Cela permet de voir le tout et de vérifier l’harmonie picturale sans avoir le nez dans les détails (remarque : en peinture digitale, il suffit de dézoomer ^^).
  • La technique du « peek-a-boo » : fermez les yeux pendant une minute en essayant de ne penser à rien (concentrez-vous sur votre respiration et comptez environ 25 cycles respiratoires) et ouvrez-les au-dessus de votre dessin d’un coup d’un seul. Tadaaaaa ! Bon, parfois il ne se passe rien, mais vous aurez au moins essayé cette technique (XD huhu !).
  • Mixez les techniques du miroir, du recul et du « peek-a-boo » pour augmenter vos chances.
  • Anticipez au mieux vos faiblesses. Par exemple, si vous savez que vous n’êtes pas encore au point en perspective, attendez-vous à trouver des erreurs de ce type et pas seulement sur les formes géométriques, mais aussi sur les formes organiques (comme pour le dessin de personnage).
  • Posez-vous la question : Si votre travail ne vous plait pas d’une manière ou d’une autre, comment pourrait-il plaire aux autres ?
  • Posez-vous la question : y a-t-il un défaut que vous avez identifié, mais que vous n’avez pas corrigé par fainéantise /impatience?

 

Gardez en tête que faire son autocritique est un exercice difficile, mais qu’avec de l’entraînement, vous pourrez bénéficier d’un meilleur recul sur votre propre travail en habituant votre œil à observer et analyser. Je ne vous cache pas que plus vous avez de connaissances théoriques, plus vous maitriserez les bases du dessin (perspective, lumière, composition…), et plus vous aurez de facilité à capter les éléments qui desservent une illustration. Souvenez-vous toujours : on peut s’améliorer considérablement en dessin rien qu’en prenant le temps d’observer. Personnellement j’adore regarder des films sans le son, et faire des arrêts sur image régulièrement. Ça prend du temps, c’est sûr, mais qu’est-ce que c’est bénéfique ! Vous en apprendrez parfois même plus en observant qu’en dessinant, surtout si vous vous concentrez correctement et que vous essayez de comprendre le pourquoi. Encore une fois cet apprentissage prend du temps, donc restez zen et faites-vous plaisir avant tout.   Vous souhaitez réagir sur ce sujet ? N’hésitez pas à commenter et à nous faire partager votre avis. Il m’intéresse toujours.   _

 

Télécharger l’article (format PDF)