Chaque semaine, vous êtes des dizaines d’internautes à m’envoyer vos dessins, et j’apprécie de constater les talents de chacun. Mais surtout les progrès que vous faites à l’aide des articles et des vidéos que je publie sur le blog. Cependant, certains d’entre vous, souvent les plus jeunes, me montrent des copies d’autres artistes. Je tiens à rappeler que copier un dessin déjà existant (s’il ne s’agit pas du notre → voir article: comment bien dessiner)de manière mécanique, sans réfléchir (de façon bête et méchante), en mode “photocopieuse”, peut être néfaste à long terme.
Je me dois cependant de relativiser ce propos, car on peut copier intelligemment, et c’est ce dont je veux vous parler aujourd’hui.
Chapitres
Chapitre 1
Copier un dessin bêtement : un piège pour l’apprentissage
C’est vrai, on a presque tous (pour 95% d’entre nous) commencé par copier des dessins, ce qui nous a motivés à progresser. Mais, à un moment, on stagne, et ça peut décourager ceux qui ont déjà de l’expérience. En réalité, on finit par moins stimuler sa créativité, mais j’y reviendrai…
En 1998, j’ai découvert mon premier comics américain, (une bande dessinée de Marc Silvestri si je ne m’abuse…). Bien que je n’étais pas fan des comics, ses dessins m’ont fasciné. Mon frère, qui avait un talent naturel et une bonne maîtrise de la perspective, me rendait fou, car je ne comprenais pas ses méthodes. Bruno, un ami que j’ai depuis le lycée, et qui a ensuite suivi les cours d’une école d’illustration réputée, me donnait aussi envie de m’y mettre.
Copier un dessin bêtement est mauvais pour la santé. Prenez cette ancienne photocopieuse, elle fera toujours mieux qu’un dessinateur qui ne réfléchit pas… la triste vérité.
Je pense qu’il avait pitié de moi lorsque je dessinais dans mes coins de cahiers en essayant de l’imiter. Cependant, il avait raison, mes dessins étaient informes et pitoyables, il faut le dire, mais il m’a fallu quelques années pour m’en rendre compte.
J’ai arrêté de dessiner pendant des années, découragé par le potentiel artistique des autres. Ce n’est qu’à 25 ans que j’ai vraiment repris, en ouvrant un premier livre sur la perspective. C’est d’ailleurs la compréhension de la perspective qui a débloqué quelque chose en moi, et c’est pour cela que j’ai rédigé le mini-guide sur la perspective, en espérant qu’il aide d’autres à se débloquer comme moi.
Le dessin c’est un peu comme les échecs: pas de stratégie, pas de chocolat.
Chapitre 2
Copier un dessin intelligemment : une stratégie gagnante
Qu’est-ce qui me distingue des autres ? Pas mon niveau, il y a des milliers de dessinateurs bien plus talentueux… Mon secret ? J’analyse TOUT et je me nourris des échecs. Je le répète parce que c’est important : j’analyse TOUT et me nourris de mes échecs.
Mon deuxième secret : Je n’ai PLUS peur du regard des autres. Ça aide tellement… Dites-vous que vous êtes en apprentissage, et les erreurs sont normales. Peu importe ce que disent les autres, vous progresserez, qu’ils le veuillent ou non! Ignorez les moqueurs, ils n’en valent pas la peine.
Attention, copier les dessins des autres est une pratique addictive. Cela inhibe votre créativité, car vous vous appuyez sur l’interprétation de quelqu’un d’autre. Cela vous donne une fausse impression de maîtrise. Cette illusion de confiance dissimulée derrière une espèce d’imposture artistique est mauvaise pour votre avenir de dessinateur.
Au lieu de copier, il est bien plus intéressant pour vous de réinterpréter ou d’exagérer le dessin d’un auteur que vous aimez, comme Picasso l’a lui-même souvent fait. Sachez qu’aucune création n’est parfaite, il est toujours possible de l’améliorer ou d’apporter une touche personnelle. Cela demande de la réflexion et de la préparation, mais c’est un exercice qui vaut le coup.
Questionner l’artiste qui est en vous…est parfois délicat.
Chapitre 3
Les questions à se poser avant de copier un dessin
Pour progresser efficacement, il faut se poser quelques questions avant de reproduire un dessin :
- Quel(s) est (sont) mon (mes) objectif(s) en copiant ce dessin ?
- Quels sont les signes distinctifs du dessin ciblé? (qualité du trait, interprétation des formes, sens artistique, sensibilité, code graphique particulier)
- Quelle histoire ou message cette image raconte-t-elle ?
Pour savoir si j’ai bien compris ce que j’observe :Suis-je capable d’exagérer le style du dessin et de sublimer l’émotion qu’il provoque déjà lorsque je l’observe ? En d’autres termes : y a-t-il un moyen pour que je puisse améliorer ce dessin par quelque subterfuge que ce soit.
Sans cette réflexion, copier ne vous apportera que ces bénéfices mineurs :
On prend confiance en son trait: ça oui, O.K, je vous l’accorde, car les traits que vous copiez sont déjà des interprétations de formes ou de textures, et il est plus facile de se concentrer sur le geste en lui-même.
On améliore sa mémoire visuelle : oui, c’est sûr, mais beaucoup moins vite que si on prenait le temps d’analyser le dessin victime de notre copie.
On s’imprègne du style du dessinateur qu’on copie et on en intègre une partie dans ses dessins d’imagination ou de mémoire: encore une fois, ce processus peut être accéléré par une analyse minutieuse avant reproduction.
En résumé :
Ne foncez pas tête baissée, prenez le temps de réfléchir !
Chapitre 4
Objectifs
Voici des exemples d’objectifs courants que je conseille avant toute “reproduction” d’un dessin, d’une peinture ou d’une illustration:
- Améliorer la qualité de mes traits et la confiance en mon geste (: pour cela je dois me demander au préalable comment l’auteur utilise son trait, par exemple pour exprimer la profondeur, pour suggérer la perspective, ou pour représenter la superposition des formes.)
- Améliorer ma compréhension des formes dans l’espace: résumer les formes en primitives géométriques, anticiper les traits cachés, analyser les T de raccourcis.
- Améliorer ma mémoire visuelle (voici un exemple d’exercice: améliorer ma mémoire visuelle).
- Exagérer le style de l’auteur : renforcer l’émotion, embellir les traits (ou les valeurs/couleurs s’il s’agit d’un tableau), apporter un plus au code graphique déjà existant, déformer les formes déjà établies et la perspective.
Chapitre 5
Code graphique
Le code graphique d’une illustration fait partie intégrante du style propre à chaque image. C’est un choix artistique précis qui influence l’agencement des formes et donne une interprétation unique. Ce code joue un rôle important dans le succès d’un artiste, car il définit son style et le distingue des autres.
Pour vous donner un exemple de code graphique très simple, observez ce dessin cartoon:
À part l’attitude bras croisés et la mimique du personnage de gauche, quels indices graphiques vous laissent l’impression que la créature de gauche est plus agressive que celle de droite?
Deux créatures à poils, dont l’une qui n’a pas l’air très commode. (personnages issus de la série “The Angry Beavers”)
Réponse: la répétition de triangles. Le triangle est une forme relativement agressive, surtout lorsqu’il est allongé. Cela renforce cet effet d’agressivité, comme si on pouvait se couper ou s’empaler sur ces formes saillantes. Le personnage de droite a l’air beaucoup plus pacifique. Ses formes sont plus arrondies, même sa dent est rectangulaire plutôt que pointue. La base de sa truffe ondule, et son nez est plus ovale que celui de son collègue.
Répétition de triangles sur le dessin du personnage de gauche.
À noter que les codes graphiques ne sont pas utilisés seulement pour le character design, mais aussi pour tout ce qui est composition de l’image.
Chapitre 6
Comprendre l’histoire pour mieux copier
Lorsqu’on copie une image, il est important de comprendre l’histoire qu’il y a derrière afin d’en dégager une émotion. Forcez-vous à poser un mot ou une phrase sur chaque image, afin d’en dégager son essence. Ceci vous permettra d’être plus efficace au moment de la reproduction. Si vous comprenez ce que vous faites, où vous allez et ce que l’illustration représente, ceci ne peut que vous aider pour réaliser vos objectifs.
Chapitre 7
Améliorer un dessin existant: cas pratique
Prenons un exemple concret de copie intelligente avec un dessin d’Akira Toriyama, auteur de Dragon Ball: c’est un dessin du petit Goku que j’adore, et il est clair qu’il y a quelques années je me serais dit que ce dessin n’était pas perfectible.
Yahaaaa! Le jeune Goku nous décoche un coup de pied en pleine face avec son regard passionné de jeune artiste martial. (illustration: Akira Toriyama)
Bien que ce soit difficile de “passer après un maître”, je pense qu’il y a quelques points à améliorer:
- Accentuer la perspective et la profondeur, pour que le pied soit plus proche et la tête un peu plus en retrait.
- Le bâton paraît rigide et les deux bouts semblent dans le même plan, je vais aussi remédier à ça et renforcer encore plus la profondeur.
- L’attitude de Goku est déjà géniale, pourtant je vais donner encore plus de rythme.
- Difficile d’améliorer l’expression du visage sans la dénaturer, je vais juste agrandir la bouche façon “One Piece”, et ajouter du mouvement dans les cheveux pour renforcer la vitesse.
- Apporter un style encore plus anguleux pour renforcer la nature de l’action (“kickass goku”
)
- Améliorer l’encrage du dessin, même si ce n’est pas le style de l’auteur.
- Simplifier les ombrages.
- Donner un rendu un peu plus traditionnel et moins “manga animé”.
- Comprendre chaque forme que je dessine.
À vous de jouer maintenant ! Qu’aimeriez-vous copier?
Vous avez toujours eu envie de
prendre
plus de temps pour dessiner ?
Formation complète
Les bases du dessin
Pit Graf
Créateur du blog Apprendre à Dessiner
Ancien kinésithérapeute recyclé en prof de dessin.
Toujours partant pour parler apprentissage du dessin et pour faire l’âne sur ses vidéos.